L’expérience Deep Underground Neutrino Experiment (DUNE) est dédiée à l’observation de neutrinos en provenance du faisceau produit par le Long Baseline Neutrino Facility (LBNF) à Fermilab aux États-Unis. Elle est composée d’un détecteur proche à 575 m de la source et d’un détecteur lointain enterré à 1285 km de distance de la source dans le site souterrain de Sanford (SURF) dans le Dakota du Sud. Le projet rassemble plus de 1000 chercheurs et ingénieurs en provenance de 32 pays différents et les premiers résultats de physiques sont attendus au début de la prochaine décennie.

Illustration de l'expérience DUNE
Illustration de l’expérience DUNE

Programme de recherche

Les caractéristiques qui font de DUNE un projet unique sont l’intensité du faisceau, un détecteur lointain massif et souterrain, et l’utilisation de chambres à dérive à base d’argon liquide (LArTPC) (lire Introduction to DUNE). Le programme principal de DUNE peut être divisé en trois points:

  • Mesures de précision des paramètres d’oscillations : hiérarchie de masse, phase de violation CP, angles de mélange et en particulier l’unité de la matrice PMNS et l’octant de θ23
  • Observation de la désintégration du proton
  • Observation du spectre neutrino/antineutrino de l’explosion d’une supernova galactique

Mais aussi des recherches au-delà du modèle standard comme les neutrinos stériles et la recherche de matière noire (lire DUNE Physics).

Contributions de l’IJCLab

L’IJCLab contribue principalement à la construction du détecteur lointain à dérive verticale de DUNE (voir détail plus bas), dont l’IN2P3 est acteur majeur. Nous sommes en charge de la conception, la simulation, le montage et l’installation de la cathode de la TPC LAr dont le défi est de délivrer 300 kV sur une surface plane de 13 x 60 m2 avec une épaisseur maximum de 8 cm. Nous concevons également les cheminées d’insertion dans le cryostat, ces cheminées servent d’interface entre l’intérieur (-180°C, argon liquide) et l’extérieur du cryostat (atmosphère) et relient l’anode et le système d’acquisition de données.

Nous nous portons également sur l’analyse des données des prototypes en cours d’opération au CERN. Nos activités sont principalement tournées vers la reconstruction de traces et la compréhension de la forme de signaux induits et collectés au plan de collection des charge (CRP) à travers la confrontation de données aux simulations. À mesure que la validation des prototypes avance, nous allons nous investir dans l’analyse de sensibilité à la physique des oscillations.

Le projet DUNE

Caractéristiques du faisceau

Le faisceau du LBNF utilise les protons (60-120 GeV) de l’injecteur principal du Fermilab à 1,2 MW (PIP-II) et pouvant être amélioré plus tard jusqu’à 2,4 MW (PIP-III). La luminosité attendue est autour de 1,5 1021 POT.an-1. Le faisceau est d’abord concentré sur une première cible afin de générer des hadrons chargés (Kaon, Pions). Trois cornes magnétiques en série permettent de concentrer ou de faire diverger le faisceau de hadrons avant leur désintégration dans une conduite de 200 m en émettant, entre autres, des neutrinos dans la direction initiale du faisceau de proton. Le spectre du faisceau pique à 3 GeV et est constitué principalement de νμ mais avec une composante systématique de anti-νμ (<5%), νe et anti-νe (<1%). Les incertitudes sur le flux (8%) et le spectre du faisceau sont significatives et nécessitent l’usage d’un détecteur proche afin de mesurer une référence avant oscillation. Si l’incertitude portant sur le flux ne peut pas simplement s’annuler par mesure relative cette méthode permet de réduire les incertitudes corrélées à la détection à hauteur de 2% (voir C. Marshall et al. (2019)).

Design du faisceau de neutrino au LBNF

Figure 1 : Design du faisceau de neutrino au LBNF

Détecteur proche

Le détecteur proche est constitué de 3 modules: un détecteur à argon liquide (ArgonCube, 50~t), un détecteur à argon gazeux (MPD, 1 t GAr) et un système de détection de neutrino sur faisceau (SAND, 8 t de CH) (CDR). L’ArgonCube délivre un spectre similaire à celui observé par les détecteurs lointains, réduisant les systématiques associées à la technique de détection. Le MPD, son pendant, permet une détermination plus précise (signe de la charge, bas seuil en énergie) mais sa faible densité ne lui permet pas une grande statistique. Tous deux peuvent se déplacer perpendiculairement au faisceau afin de mesurer le spectre “on” et “off” axis (système PRISM). Hors du faisceau, le spectre en énergie est plus piqué et l’énergie peut être sélectionnée en variant la distance à l’axe du faisceau. Cela permet de déterminer plus précisément les sections efficaces en fonction de l’énergie.


Figure 2 : Complexe du détecteur proche


Figure 3 : Spectre en énergie du flux de nm en fonction de la distance des détecteurs proches à l’axe du faisceau

Détecteurs lointains

L’effet de la phase CP est plus significatif lors de la mesure de l’apparition des νe et anti-νe à basse énergie. La volonté de mesurer le second pic d’oscillation, où la sensibilité à δCP et la hiérarchie de masse sont les plus importante, motive l’utilisation d’un détecteur à faible seuil en énergie. Comme toujours dans les expériences d’observation neutrino, le détecteur doit être aussi massif et radiopur que possible. Les chambres à dérive à gaz noble sont donc une solution idéale.

Deux détecteurs lointains (17 kt de liquide cible) sont nécessaires pour rendre possible le très riche programme de DUNE, avec un horizon à 4 détecteurs lointains (40 kt). Pour le moment deux technologies sont envisagées : un détecteur à dérive horizontale (HD) et un détecteur à dérive verticale (VD).

Chambre à dérive à gaz noble

L’argon liquide, tout comme le xénon, est un gaz noble scintillant largement utilisé dans la détection de particule. Peu chers, facilement purifiables, et abondants, ils sont aussi d’excellents scintillateurs (~40.000 photons/MeV) et de bons gaz ionisants (Wion ~23,6 eV). Les neutrinos interagissent principalement par interaction quasi élastique à courant chargé (CCQE) avec un neutron du liquide sous la forme: νl + n →  l + p. Ces deux particules vont alors ioniser et exciter l’argon au cours de leur trajectoire. Le Ar2* se désexcite à son tour par émission de photons ultraviolets (VUV) de 127 nm (S1). Afin d’éviter une recombinaison locale des charges issues de l’ionisation, un fort champ de dérive est appliqué (~ 0,5 kV.cm-1) directement dans le volume liquide, et la collecte de ces charges constitue le second signal. La technologie double phase permet une amplification des électrons juste avant leur collection. Ce type de détecteur croisant les signaux de scintillations et d’ionisation est appelé chambre à dérive (TPC). Dans le cas de détecteurs massifs (~m de dérive), le signal ionisant peut mettre plusieurs millisecondes à atteindre l’anode. Ils sont donc souvent installés en laboratoire souterrain pour réduire le bruit de fond cosmique et le taux de coïncidences fortuites (“pile-up”).

Site de Sanford

L’installation de recherche souterraine de Sanford (SURF) est un laboratoire souterrain dans le Dakota du Sud, États-Unis, hébergeant déjà des expériences neutrinos et matière noire (LUX, MAJORANA) à plus de 1,5 km de profondeur. DUNE nécessite cependant de nouvelles excavations: deux cavités pour héberger les détecteurs lointains de DUNE et un tunnel moins profond sis entre ces cavités pour la maintenance. Chaque cavité peut héberger deux détecteurs de 17,5 kt. Ces détecteurs, remplis d’argon liquide, doivent être maintenus à 89 K et nécessitent donc une importante installation cryogénique.


Figure 4 : Nouvelles cavernes souterraines à SURF pouvant accueillir jusqu’à 4 cryostats à LAr de 17 kT.

Détecteurs à dérive horizontale

Le module HD est une chambre à dérive à argon liquide (LArTPC) de 12x13x58 m3. Le volume est coupé dans sa longueur par trois anodes (A) et deux cathodes (C) reposant sur le sol, intercalées successivement (A-C-A-C-A) afin de créer un espace de dérive horizontal entre chaque cathode et anode de 3,6 m. Une anode est constituée de 4 différents maillages alternés : horizontal pour la grille de protection (Grid, -665 V), incliné à + 35,7° (induction U, -370 V), incliné à +35,7° (induction V, 0 V) et horizontal pour la grille de collection de charge (X, 820 V) (voir TDR_Far Detector Single-Phase Technology). Ces tensions imposées aux grilles d’induction permettent de mesurer la perturbation électromagnétique induite par le passage des charges sans les collecter. Ainsi la coïncidence de U, V et X permet une mesure précise de la position dans le plan de l’anode. La position dans le plan du champ électrique est donnée par la différence en temps avec la collecte du signal lumineux. Un prototype de ce détecteur est actuellement en caractérisation au banc de test neutrino NP04 du CERN (voir Design_far detector).

Détecteurs à dérive verticale

Un module complet (14,7 kt de LAr actif, 13,5×13,5×60 m3) est constitué de 32 sous-modules (24 de 6,5x9x6,7 m3 et 8 de 6,5x3x6,7 m3). Un sous-module, constitué d’une anode et d’une cathode permet une dérive verticale des électrons sur 6,5 m comme illustré sur la figure ci-dessous. Cette construction modulaire (1 détecteur = 32 sous-modules) permet tout à la fois de tester efficacement une partie représentative du détecteur final, simplifie la logistique et l’installation au site complexe de Sanford.

Figure 5 : Design général du volume actif du détecteur lointain à dérive verticale faisant 60 mètres de long


Figure 6 : Schéma de détail des sous-éléments du détecteur, incluant les plans de collection des charge d’ionisation et les détecteurs de photon de scintillation


Anode

La structure mécanique soutenant l’anode utilise le design créé pour la technologie double phase: le “Charge Read-out Plane”(CRP). Un CRP est constitué d’une plaque PCB imprimée des deux cotés, trouée et immergée directement dans l’argon liquide. Les électrons sentent le champ induit entre les deux faces, pénètrent par les trous du PCB et sont collectés par le circuit imprimé de l’autre coté.

Cathode

La cathode est une pièce importante du design. Portée à -300 kV, elle est responsable avec l’anode du champ de dérive. Elle ne doit pas être trop massive (< 10 kg.m-2) pour ne pas alourdir la structure, trop haute (60 mm) pour réduire la perte de volume actif, et suffisamment plate ( 20 mm) pour éviter une distorsion du champs électrostatique de dérive (<1 %).

Figure 7 : Un module unitaire de cathode conçu à l’IJCLab et déployée au CERN. Dans les coins supérieurs, les plaques inox qui portent les différentes électroniques testées sont visibles. Les photons détecteurs sont au nombre de 5 (4 petits unitaires) et un système complet (le grand carré blanc)

Photodétecteurs

La technologie ARAPUCA peut être assimilée à une “diode lumineuse”. Une boite laisse entrer des photons d’une certaine longueur par un coté transparent, décalant leur fréquence de l’UV profond (VUV) vers le visible grâce à un verre dichroïque. La fenêtre, transparente aux photons VUV est réfléchissante aux photons visibles. Ces photons visibles sont piégés dans un environnement complètement réfléchissant jusqu’à leur absorption par des SiPM (ARAPUCA & X-ARAPUCA). Les SiPM ont pour taille de base 6×6 mm2 et chaque unité en contient 360. Ce signal sert à la fois pour déclencher le trigger d’acquisition mais aussi pour reconstruire la position et l’énergie des évènements. Il est particulièrement important à basse énergie et dans le cas d’une supernova galactique.

Prototypes

Un prototype est en cours de test depuis fin 2021 au banc de test du CERN appelé “ColdBox”. Ce banc de test permet une mise en conditions réelles de l’électronique dans l’argon liquide mais aussi permet de mesurer les charges dérivant sur une vingtaine de centimètres comme dans l’image ci-dessous.

Figure 8 : Visualisation d’un évènement de type muon traversant la ColdBox sur environ 23 cm

En parallèle, la possibilité d’imposer 300 kV sur 6 m de dérive a été validée sur le prototype double phase installé au cryostat NP02 du CERN jusqu’au printemps 2022. Ces mesures confirment le design de la dérive verticale et un prototype de sous-module VD sera installé dans le cryostat NP02 dès fin 2022.


Figure 9 : Visualisation d’un évènement de type muon traversant le cryostat NP02 sur environ 6 m