L’expérience SuperNEMO (Super- Neutrino Ettore Majorana Observatory) vise à rechercher la double désintégration bêta sans neutrinos (0ν2β), dont l’observation prouverait que le neutrino est une particule de Majorana, identique à son antiparticule. L’existence du neutrino de Majorana est introduite naturellement dans l’extension la plus simple du Modèle Standard, permettrait d’expliquer la petitesse des masses des neutrinos vis-à-vis des autres fermions et pourrait expliquer l’asymétrie entre la matière et l’antimatière actuellement observée.

SuperNEMO succède aux expériences NEMO, en particulier NEMO-3 qui après 5 ans d’observation n’a pas observé la désintégration de 6,9 kg de 100Mo et a posé une limite sur la demi-vie de cette désintégration :

T1/2 0ν2β (100Mo) > 1,1 1024 ans à 90% de niveau de confiance.

 

Vue schématique et éclatée du démonstrateur SuperNEMO. Les feuilles sources sont prises en sandwich dans le tracker puis entre les murs du calorimètre.

Actuellement le module démonstrateur de SuperNEMO est en fin du commissioning au Laboratoire Souterrain de Modane (LSM), entre la France et l’Italie. Il contient 6,23 kg de sources de 82Se, placé en sandwich dans un détecteur de traces formé de cellules à dérive fonctionnant en régime Geiger et le calorimètre composé de blocs de plastiques scintillants couplés à des photomultiplicateurs de basse radioactivité. Tous les composants du détecteur ont été sélectionnés pour avoir la plus faible radioactivité, notamment en 208Tl et 214Bi, deux isotopes issus de chaînes de radioactivité naturelle, qui peuvent contribuer au bruit de fond. Le détecteur est placé dans un champ magnétique de 25 Gauss, qui permet d’identifier positron et électron et entouré d’un blindage en fer contre les gammas et d’un blindage contre les neutrons en polyéthylène boré et eau.

La résolution en énergie du calorimètre a été améliorée d’un facteur 2 par rapport à NEMO-3. La résolution est typiquement de 8% FWHM à 1 MeV. Le calorimètre permet également de mesurer le temps d’arrivée des électrons et la résolution attendue est mieux que σ = 400 ps pour des électrons de 1 MeV.

Les contaminations des feuilles sources en 208Tl et 214Bi doivent être réduites de plus d’un ordre de grandeur par rapport à NEMO-3, les spécifications sont de 2 μBq/kg pour le 208Tl et de 10 μBq/kg pour le 214Bi. Les sources du démonstrateur SuperNEMO ont été mesurées par le détecteur BiPo-3, au Laboratoire Souterrain de Canfranc (situé entre la France et l’Espagne). Ces mesures ont montré que les meilleures feuilles sources du démonstrateur ont une contamination en 208Tl de 20 +/- 10 μBq/kg, donc sont 5 fois plus radiopures en 208Tl que les sources de NEMO-3.

Vue du démonstrateur SuperNEMO, au cours de son montage au Laboratoire Souterrain de Modane. On distingue les feuilles source tendues verticalement, et devant les cellules de la chambre à fils (on voit en bas les anneaux cathodiques).

 

Vue des cellules du détecteur de traces (on voit les anneaux cathodiques en bas et la réflexion de la lumière sur les fils), des feuilles sources tendues verticalement. On voit également une source de calibration entre les deux feuilles sources.

Contributions d’IJCLab

Les contributions d’IJCLab peuvent être divisées en différentes parties, toutes détaillées dans la suite:

  • le calorimètre du démonstrateur de SuperNEMO
  • L’intégration du démonstrateur à Modane
  • Le design et l’installation des cartes front-end
  • Le design, la construction et l’anayse du détecteur BiPo-3
  • L’analyse des données de NEMO-3

Le calorimètre de SuperNEMO

IJCLab a eu la responsabilité de la conception mécanique, de la construction et de l’installation du calorimètre du démonstrateur SuperNEMO. Le calorimètre de SuperNEMO est constitué de :

  • 2 murs principaux formés chacun de 260 modules optiques (blocs de scintillateurs couplés à 220 photomultiplicateurs 8 pouces et 40 photomultiplicateurs 5 pouces)

  • 2 murs dits XWalls, composés de 128 modules optiques, sur les parties latérales du détecteur.

  • 2 murs dits GVetos, composés de 64 modules optiques, sur les parties supérieure et inférieure du calorimètre, et dédiés à la détection des gammas.

Vue de l’avant d’un mur principal du calorimètre. On voit les feuilles Mylar aluminisé qui entourent les blocs de scintillateur pour les isoler optiquement du détecteur de traces.

Intégration à Modane

IJCLab a eu aussi la responsabilité de l’intégration du démonstrateur SuperNEMO au Laboratoire Souterrain de Modane.

Vue de l’arrière d’un mur de calorimètre du démonstrateur SuperNEMO. La structure en nid d’abeille peut contenir les photomultiplicateurs, avec leur embase qui permet de les alimenter via le câble haute tension et d’extraire le signal.

Gauche : Installation d’un mur du calorimètre et d’un module du trajectographe au LSM.
Droite :
Assemblage des modules du trajectographe autour du cadre source.

Les cartes front-end du calorimètre

IJCLab a aussi conçu, construit, installé et testé l’électronique du calorimètre des cartes front-end, basées sur des puces SAMLONG, développées à IJCLab et au CEA, enregistrent les signaux des photomultiplicateurs. (Contrairement à NEMO-3 qui ne mesurait que la charge et le temps d’arrivée du signal PM, le pulse est digitalisé, ce qui permettra de mieux distinguer certains bruits de fond.) L’ensemble des cartes front-end pour le calorimètre et le détecteur de traces est hébergé dans des chassis VME avec des cartes backend et contrôleur développées à IJCLab. IJCLab a eu la responsabilité d’écriture du code firmware, en liaison avec le LPC Caen et l’université de Manchester.

Carte électronique front-end du calorimètre.

Détecteur BiPo-3

IJCLab a eu également la responsabilité de la conception, de la construction, de l’installation de BiPo-3 au laboratoire Souterrain de Canfranc et de son analyse de données. Ce détecteur, d’une grande radiopureté, mesure la cascade Bismuth-Polonium (soit 214Bi-214Po, soit 212Bi-212Po) des chaînes de radioactivité naturelle. L’identification du retard de la particule alpha par rapport à l’électron permet de distinguer ces deux désintégrations, et finalement de mesurer la radiopureté des feuilles sources de 82Se.

Vue du détecteur BiPo-3 lors d’une mesure de feuilles sources de 82Se.

Analyse de NEMO-3

IJCLab a fortement contribué aux dernières analyses du détecteur NEMO-3. La recherche de la désintégration 0ν2β du 100Mo vers l’état fondamental a permis d’exclure ce processus : T1/2 0ν2β(100Mo) > 1,1 1024 ans à 90% de niveau de confiance et de poser des contraintes sur la masse effective: <mν><0.33-0.62 eV à 90% de niveau de confiance où l’intervalle est lié à l’incertitude sur les calculs d’éléments de matrice. Le niveau de bruit de fond est très faible de l’ordre de 10-3 coups/keV/g/yr. (PhysRevD.92.072011)

Bout de spectre en énergie des deux électrons émis par la feuille source de 100Mo de NEMO-3. Les croix représentent les données tandis que les histogrammes pleins cumulés représentent les distributions attendues des bruits de fond dans la recherche de la 0ν2β. L’histogramme pointillé représente, en cumulé, la distribution attendue pour le signal 0ν2β rejeté.

Résultats de NEMO-3

La désintégration 2ν2β du 100Mo vers l’état fondamental a été mesurée précisément, avec près de 500 000 événements enregistrés et un rapport signal sur bruit de 80. Le détecteur de type tracko-calo, NEMO-3 a mesuré toute la cinématique des deux électrons produits par cette désintégration : énergie individuelle et angle d’émission entre les électrons. Ces mesures ont montré que la désintégration 2ν2β s’effectue majoritairement via le mécanisme SSD, pour lequel la transition du noyau père via le noyau fils s’effectue majoritairement via l’état intermédiaire 1+. Elle a permis montrer que la distribution angulaire entre les électrons était en accord avec les attentes et également de poser des contraintes sur des processus au-delà du Modèle Standard : double bêta avec Majoron, neutrino bosonique, violation de Lorentz. (Eur. Phys. J. C (2019) 79:440)

Gauche : distribution de l’angle entre les deux électrons pour les données (points noirs) comparés à la simulation (histogramme pleins). Droite : distribution de l’énergie individuelle des électrons, lorsque la somme des énergies est supérieure à 1,4 MeV, comparée à une simulation 2ν2β via le mécanisme SSD.

 

Déformations possibles du spectre de la 2ν2β du 100Mo vers l’état fondamental, dans le cas d’émission de Majoron, de neutrino bosonique ou de violation de Lorentz.

 

La désintégration 2ν2β du 150Nd vers l’état excité 0+1 du 150Sm a été identifiée dans les canaux 2 électrons 1 gamma et 2 électrons 2 gammas, et sa demi-vie mesurée à plus de 5 sigmas.

T1/2 = 1,11 +0,19 -0,14 (stat) +0,17 – 0,15 (syst) 1020 y.

Des limites ont également été posées sur les processus de désintégration 2ν2β du 150Nd vers l’état 2+1 et 0ν2β du 150Nd vers les états 0+1 et 2+1.

Distribution de la variable BDT (boost decision tree) dans le canal 2 électrons et 2 gammas. Le trait pointillé indique la coupure effectuée.